J’ouvris la porte de derrière. La nuit était belle, calme et douce, parsemée de longs bancs de nuages encore vaguement laiteux, entre lesquels scintillaient quelques étoiles isolées. Mais dès que je refermai derrière moi, jaillit, juste au-dessus de ma tête, un long flash blanc lumineux qui illumina tout le jardin. Puis plus rien. Je me souviens avoir pensé que c’était, peut-être, en rapport avec les Perséides ; qu’un reste de météorite venait, peut-être, de brûler très bas dans l’atmosphère, ce qui aurait pu expliquer la façon dont cela s’était présenté, bien loin de l’habituelle apparence d’une étoile filante qui rayerait la nuit. Rien, en effet, dans mon environnement, que je connaissais évidement par cœur, n’aurait pu expliquer la provenance de ce flash intense et sur le coup, c’est la seule explication que je trouvai, même si cela me semblait vaguement tiré par les cheveux.. Il y avait bien, de l’autre côté de la rue, c’est-à-dire derrière moi, un vieux lampadaire solitaire, mais celui-ci ne diffusait plus, depuis longtemps, qu’un vague halo diffus, orange sale, d’halogène fatigué. Ajouté aux deux minuscules lampions solaires plantés dans les plate-bandes du jardin, il n’existait pas d’autre source lumineuse à portée. Comme je m’apprêtais à aller me coucher, je ne cherchai pas plus loin… Mais tout-à-coup, à peine une minute après ce flash, une phrase très nette me traversa l’esprit :
« Je suis celui dont le monde a besoin. »
Ce n’était pas ma voix et qui plus est, son volume sonore était trop important par rapport à celui qui caractérisait normalement ma propre pensée. Aussitôt, je me fis la remarque :
« C’est idiot, le monde n’a besoin de personne ! »
Mais là encore, je n’y ai pas prêté attention plus que cela..
Bref, un peu plus tard, comme prévu, je m’allongeai dans mon lit, avec l’intention d’aider, à sa demande, une personne que je connaissais bien : l’objectif étant de l’accompagner dans la grande salle des « med beds » de la fédération galactique. Tout se passa normalement ; une fois certain qu’elle y était en sécurité, je me tournai dans le lit, adoptant ma position de sommeil habituelle, en chien de fusil. Mais quelque-chose d’assez brutal se produisit soudain : sans transition, je me retrouvai en train de courir, contournant le coin de la maison pour grimper, quatre à quatre, un escalier extérieur situé sur le pignon est de ma propre maison, avec une seule idée en tête : « aider les parents d’un jeune garçon ». Je précise que cet escalier, en réalité, n’existe pas. Surgi d’une porte étroite située juste sous le toit, un jeune garçon dévala soudain les marches pour venir à ma rencontre. Je dis « jeune garçon » car sa petite taille me le confirma. Je perçus nettement sa chevelure noire et remarquai vaguement qu’il avait une tête un peu trop grosse par rapport à sa tête. Il m’enlaça aussitôt, ce qui me surprit profondément et coupa net mon élan. Tâtonnant un bref instant, il me planta fermement un doigt sous chaque aisselle et je plongeai aussitôt dans une épaisse torpeur qui s’approfondit rapidement. Je perçus en même temps comme un long murmure, très monotone, au creux de l’oreille gauche.
Quelque-chose en moi réagit enfin : je ne connaissais pas cette langue. Non pas que ce fut une langue étrangère, mais elle ne me rappelait rien de connu sur terre. En l’entendant, je me souviens seulement avoir pensé à des couleurs, des tintements… Tout s’enchaîna alors très vite : au fait, qui avait dit que je devais « aider les parents d’un jeune garçon » ? Qui étaient-ils au fait ? Je réalisai tout-à-coup que pas un seul instant, je n’avais pu voir le visage de ce « jeune garçon ». Et puis surtout, que je continuais à sombrer dans un sommeil de plus en plus lourd, lequel se renforça encore en se diffusant, curieusement, par le dos, depuis un point qui se serait situé quelque-part entre les deux omoplates, que c’était terriblement agréable, à la limite du plaisir…
Mais dans le même temps, je réalisai surtout que je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, que je ne l’avais pas vraiment voulu… Qu’avec cette langue chuchotée, monocorde, doucereuse, il tentait ni plus ni moins de m’endormir, de me mettre hors-circuit. Qu’avec ses doigts plantés sous mes aisselles, tout cela ressemblait étrangement à une classique induction hypnotique avec ancrage.. Je me demandai tout-à-coup si je m’endormais ou si je mourais…
Je me tendis, bandai toute ma volonté pour échapper à cet étau qui m’emprisonnait de plus en plus fort et je crus presque, un bref instant, que je n’en sortirai pas ! Je dus réellement puiser au plus profond de moi pour m’extirper complètement de ce si jouissif engourdissement ! Enfin, brusquement, je me redressai dans mon lit, une légère sueur froide coulant lentement sur mes tempes.
Il me fallut près d’une heure pour comprendre pleinement qu’il s’était agi d’une tentative d’abduction et qu’elle avait, à coup sûr, été précédée d’un premier enlèvement dont je n’avais aucun souvenir (l’ancrage sous les aisselles avait été déjà effectué), ainsi que d’une sorte de programmation préalable (dont la phrase « Je suis celui dont le monde a besoin » était le principal item), que l’escalier extérieur et le jeune garçon n’étaient sans doute que des images-écrans. Qu’ils camouflaient vraisemblablement la rampe d’un vaisseau et la forme d’un petit être exogène (un « petit gris » ?)… Puis, me revint enfin le souvenir de ce premier flash blanc lumineux : c’était maintenant une certitude. Un vaisseau s’était trouvé là, quelque-part au-dessus de la maison. On attendait que je sorte.
Cela ne m’était jamais arrivé, du moins, consciemment. J’étais stupéfait ! Pourquoi cette attaque brutale ? De qui au juste provenait-elle ? Pourquoi ce jour-là ?
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Suite et rectification en session avec télépathe (Merci à Elodie !) :